Femmes visibles… vraiment?

Femmes visibles, vraiment? Pour traiter de mon sujet d’aujourd’hui, je rebondis sur un podcast exceptionnel: « Parler comme jamais ». Production Binge Audio animé par Laélia Véron avec la collaboration scientifique de Maria Candea, enseignante-chercheuse à l’université de Paris 3. Sous le texte, je vous donne le lien vers 2 émissions traitant du langage inclusif. Le texte que vous lirez s’appuie sur l’entretien audio, mais j’utilise ma manière de dire, mes questionnements, mon angle de vue. Ce que j’ai entendu lors de ce podcast a retenti si fort dans mon corps, dans ma tête et dans mes émotions que je veux les partager… 

LES INVITÉ·E·S de l’émission : 

Julie Abbou, Linguiste, Directrice de la revue GLAD – Revue sur le genre, le langage et les sexualités ; chercheuse post-doctorante à l’Université de Paris.

Pascal Gygax, Psycholinguiste, chercheur, Directeur de l’équipe de Psycholinguistique et Psychologie Sociale Appliquée, Université de Fribourg, Suisse

Pourquoi choisir d’aborder ce sujet en tant que sophrologue et sur un blog de sophrologue ? 

Parce que je suis sophrologue autrice d’ouvrages  mais aussi femme engagée (entre autres auprès des femmes via mon métier de sophrologue). Dans mon quotidien j’utilise l’écriture inclusive, à ma modeste façon, et c’est un plaisir pour moi que d’avoir parfois à réfléchir pour « écrire au mieux ».  Je suis accompagnée depuis 4 ans par par mes éditeur•ices, ce qui est un gage de confiance et de qualité.

Parce que ce sujet colle parfaitement à certains principes et valeurs de la sophrologie :

La sophrologie c’est aussi une manière d’être présent•e au monde. Et, notre présence au monde passe entre autres par le langage.

L’adaptabilité à ce qui arrive, que je sois d’accord ou pas que cela me plaise ou pas. J’accepte ce qui est pour en faire ensuite quelque chose au fil du temps.

L’accueil de ce qui est, de ce qui se joue dans la société. L’accueil du mouvement de la vie. Rien n’est figé. Tout bouge tout le temps. 

L’écoute de ce que l’autre exprime. S’il est manifestement important pour une population majoritaire en nombre, et pourtant peu entendue, en l’occurrence celle des femmes, de passer par le langage pour se rendre visible j’entends cela et j’essaye de le comprendre, de le respecter.

Le non-jugement. Si je suis défavorable à l’écriture inclusive, si je ne me sens prêt•e à l’utiliser, c’est donc ce qui est bon pour moi. Dans le cas contraire je ne le fais pas mais je n’empêche pas les autres d’avancer comme elles-ils le souhaitent. 

Le regard toujours neuf sur les choses, les gens, les événements, les situations. En effet, j’ai vu les choses comme cela hier et je les verrai comme ceci demain parce que j’aurai du recul, parce que les lignes auront bougé… Parce que le regard sur le monde est mouvant.  

La possibilité qui nous est constante, d’observer les situations de vie, les concepts, les valeurs, sous un axe différent de l’axe habituel. Faire un pas de côté, s’ouvrir un champ des possibles. 

Ce que les anti – écriture inclusive disent et les questions que cela pose

Il y a celles et ceux qui militent « pour », celles et ceux qui militent « contre ». Et plus rarement, celles et ceux qui n’ont pas vraiment d’opinion sur le sujet. Les personnes appartenant à la 2e catégorie argumentent régulièrement afin d’imposer leur vision des choses, comme si l’écriture ouverte au féminin pouvait représenter un danger. Cela me pose questions. Voici donc un résumé des principaux arguments et des questions que cela soulève. 

Utiliser l’écriture inclusive c’est répandre la gangrène dans notre belle langue française et vouloir modifier la langue, la bouger un peu, c’est la dévaloriser. Question(s): est-ce que le français écrit et oral d’aujourd’hui est le même que celui du moyen-âge ? Les dictionnaires ne proposent-ils pas régulièrement des mots nouveaux, de nouvelles expressions selon les courants de société ? La beauté d’une langue ne tient-elle pas à sa capacité à se questionner, se renouveler? 

Le masculin est générique. Avant de poser la question  un préambule : L’aspect humoristique de la chose c’est que ce débat sur la neutralité du masculin est en réalité un non débat. Le masculin ne peut être une notion neutre car il va à l’encontre de ce qu’on nous apprend à l’école. Les deux formes, masculin et féminin nous sont enseignées dès l’âge de 3 ans. La forme masculine s’adresse aux garçons : « tu es courageux », la forme féminine s’adresse aux filles « tu es courageuse ».  Le sens spécifique masculin et féminin nous est donc signifié dès les premières années de notre vie. Puis, un jour, on explique aux filles qu’elles sont comprises dans les mots masculins. Question(s): est-il possible vraiment de ne pas savoir que le neutre n’existe pas dans la langue française ? Un mot est féminin ou il est masculin. Et d’ailleurs, l’usage du masculin n’est pas perçu de manière neutre en dépit du fait que ce soit son intention, car il active moins de représentations de femmes auprès des personnes interpellées qu’un générique épicène. C’est
tellement courant que nous en avons à peine conscience. 

Il y a tout de même des sujets plus importants à régler dans la problématique de l’égalité des genres type égalité des salaires etc. Question : La langue ne reflète t-elle pas la société et sa façon de penser le monde? et ce constat ne devrait-il pas faire de ce sujet justement un sujet de la plus haute importance? Ainsi, une langue qui rend les femmes invisibles est la marque d’une société où elles jouent un second rôle. C’est bien parce que le langage est politique que la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin durant plusieurs siècles par les groupes qui s’opposaient à l’égalité des sexes. Et oui tout  TOUT est important mais pourquoi vouloir hiérarchiser les problématiques et ne pas travailler tout cela de front? Les inégalités sont avant tout pensées et intégrées inconsciemment et de fait, elles deviennent réelles et très concrètes. L’évolution des mentalités passe en grande partie par les représentations du langage.

C’est un délire de bourgeois privilégiés qui n’ont pas d’autres choses à faire que de « penser ». Question : n’est-ce pas une très bonne nouvelle que nous puissions encore prendre un peu le temps de penser ? Ne peut-on pas penser en pleine conscience, « de l’endroit d’où l’on est » ? … Toutes les grandes avancées humaines sont passées par la pensée d’abord puis par l’action. Heureusement que ça n’est pas l’inverse. 

Ça va rendre les choses encore plus difficiles car l’écriture inclusive en vrai, va exclure certaines personnes en utilisant des pratiques non intelligibles pour toutes et tous. Question(s) : s’arrête-ton si souvent sur les immenses difficultés de la langue française ? et n’est-il pas amusant de constater ce deux poids deux mesures. Personne ne jette ses clés contre un mur de rage en disant : « je ne veux plus jamais utiliser ce mot car sa double orthographe est trop compliquée et absurde » en revanche il serait inadmissible de lire « un avocat – une avocate ou un professeur – une professeure , un pompier-une pompière? 

Cela dérange l’apprentissage des personnes dyslexiques . Question : n’est-il pas fascinant comme le dit Pascal Gygax avec beaucoup d’humour, de constater combien de gens s’intéressent subitement au sort des personnes dyslexiques? De plus, les professionnel•les spécialisé•es dans les troubles dyslexiques sont tout à fait partagé•es sur le sujet.

Mais l’écriture inclusive en vrai qu’est-ce que c’est (résumé) 

L’écriture inclusive prend compte du genre féminin ET masculin sans inclure un genre dans un autre. Elle re-visibilise les femmes dans la langue. Elle désigne non pas une technique, mais plusieurs. Toutes ces techniques-possibilités sont souples, et sont à utiliser comme on l’entend et selon le contexte et selon « comment on le sent ». 

L’écriture inclusive est une formule née il y a moins de 10 ans, associée au fameux point médian qui déclenche tant de polémique et d’indignation. Mais ça n’est pas si simple. Entre le 17e et le 19e siècle les métiers et les titres féminins étaient présents dans l’usage. Sous l’influence du sexisme, la société s’est dotée d’un appareil idéologique qui a construit le masculin comme un genre noble. Et les pratiques dans les milieux politiques et militants existent depuis bien plus longtemps car elles ont commencé dans les années 60, via les féministes qui ont revendiqué de retrouver les noms de métiers déclinés au féminin.  

Le langage non sexiste et qui rend les femmes visibles ne passe pas seulement par le point médian mais se structure en plusieurs règles non-sexistes, dont la plupart sont déjà utilisées depuis longtemps et n’ont jamais bouleversé personne. 

Possibilité 1

Accorder au féminin lorsqu’il s’agit de femme quel que soit le métier : la directrice l’institutrice, l’ambassadrice, l’agente, l’autrice etc. Cette règle va contre l’idée du masculin générique, c’est à dire, l’idée selon laquelle pour les titres, la forme au masculin pourrait s’appliquer aux hommes comme aux femmes sous prétexte que le masculin serait neutre. A observer les usages et leur histoire on se rend compte que cette règle n’a jamais été vraiment adoptée. Le choix d’accorder ou non au féminin un métier ne repose absolument pas sur des critères linguistiques. Les mots sur lesquels se sont concentrés les polémiques ont toujours touché des métiers qu’il s’agissait de réserver aux hommes. Par exemple des mots comme « institutrice » ont toujours bien été acceptés et aucune vendeuse ou caissière ou couturière n’a jamais été priée de se faire nommer vendeur ou caissier ou couturier. En revanche, présidente ou pharmacienne ou doctoresse, rendent les puristes totalement fous de rage. 

Possibilité 2

Varier les règles d’accord c’est à dire ne pas accorder forcément au masculin selon la règle « le masculin l’emporte sur le féminin » mais accorder à la majorité ou à la proximité. Comme Racine lorsqu’il écrit dans Athalie « ces trois jours et ces trois nuits entières ». Autre exemple « de nombreuses décisions et échanges » et non « de nombreux décisions et échanges » ; « de la musique servie par de nombreux arrangements et mélodies aériennes » et non « de nombreux arrangements et mélodies aériens ». Cet accord de proximité, de fait, est très vivant et n’a jamais vraiment disparu, on peut le retrouver encore de manière fréquente et plutôt « transparente » car on ne le remarque pas… donc pas de cris, pas d’indignation.

Humour encore, les grammairiens de l’époque se sont très largement offusqués de voir disparaître la règle des accords de proximité ou de majorité en expliquant que cela tuait la langue. Ils se sont largement offusqués de la masculinisation des métiers et ont combattu pour que les métiers soient dits au féminin comme au masculin et cela, pour protéger la langue et lui garder sa richesse en préservant ses variantes. Autre temps autre discours, aujourd’hui, d’autres linguistes tiennent exactement le même discours « on veut tuer la langue ». Paradoxe drolatique et fascinant.

Possibilité 3 

La double flexion  : « Françaises / Français », « Amies, Amies » « Mesdames, Messieurs ».

Possibilité 4 

Utiliser quand c’est possible des mots épicènes qui s’écrivent pareil au masculin et au féminin comme « stupide » ou « formidable » qui sont des termes valables pour les hommes comme pour les femmes. Ou encore employer une tournure qui ne mentionne pas le genre. 

Possibilité 5

Le fameux point médian qui déclenche tant de foudres. 

Ce dernier est très récent (environ depuis 2007) et il était spécifique au début à des milieux minoritaires féministes. Son avantage est qu’il n’a pas de double sens comme la parenthèse, il ne signifie donc que cela. Il est, typographiquement lisible, aisé à lire. Il n’a pas beaucoup de défaut. 

Ce fameux point médian est imprononçable à l’oral mais bien sûr que lorsqu’on lit un texte avec point médian type les étudiant•es ou les étudiant•e•s (au choix) on dit tout simplement à l’oral « les étudiants – les étudiantes » Cela n’est franchement pas très complexe à comprendre. Par ailleurs, ce système est utilisé depuis toujours en ce qui concerne le pluriel ou le singulier. Dans un formulaire, lorsqu’on parle d’une personne ou de plusieurs personnes on n’a aucun problème à mettre le-les, ou un « s » entre parenthèses et personne ne dit que c’est illisible ou qu’il est difficile de le prononcer. 

On voit donc que certaines de ces possibilités sont nouvelles mais que beaucoup ne sont pas si nouvelles que cela. Elles s’en vont et s’en reviennent.

On remarque aussi qu’il y a l’embarras du choix pour parler à toutes et à tous, ou pour parler à tout•es ou pour parler à tout•e•s ou encore pour parler à tout le monde !

L’écriture inclusive est un enrichissement de la langue. Mais cela passe par de nouvelles habitudes à prendre (les premières fois, les premiers apprentissages prennent toujours un peu de temps) et surtout, c’est un cheminement collectif. J’imagine que les choses seraient plus faciles si on arrêtait un peu de prendre les gens pour des imbéciles en hurlant aux loups que personne ne peut comprendre ces légères modifications de la langue. Non nous ne sommes pas des idiot•es, loin s’en faut. Alors renseignons-nous, ouvrons nos esprits, jonglons avec les outils de du langage inclusif dans notre vie de tous les jours. Chacun•e à notre rythme, avec nos pratiques particulières, selon l’adéquation avec le contexte du moment et selon ce qu’on veut dire. Par exemple, le 10 mai 2021 je peux par exemple avoir envie d’écrire « les chirurgiennes et les chirurgiens sortent de la salle » parce que je considère qu’il est encore important à notre époque de signaler qu’il y a des femmes dans cette pièce, et, en l’an 2041  je pourrai peut-être avoir envie d’écrire les chirugien•nes car il ne sera pas aussi vital de continuer d’informer la Terre entière qu’une femme a toutes les capacités d’être chirurgienne. 

L’écriture inclusive est un territoire de liberté. Déployons nos ailes. Rendons les femmes visibles.

Sources pour l’écriture de cet article : 

Le guide conçu par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes 

Podcast Écriture inclusive : pourquoi tant de haine ?

Podcast Faut-il démasculiniser notre cerveau?

Marcella, sophrologue Paris 15e

Membre du Syndicat des Sophrologues Professionnels

 

 

Suivez et partagez!

Cet article a 2 commentaires

  1. Merci Marcella, je partage totalement ce point de vue, je me suis mise à utiliser le langage inclusif et l’écriture inclusive dès que j’ai pris conscience de certains dogmes imposés par une société encore majoritairement pensée et cree par des hommes. Je partage avec un souffle de liberté ton article.

    1. Marcella

      Valérie, un grand merci pour ce retour. Partageons l’avenir. Ensemble.

Laisser un commentaire