Faire la paix plutôt que la guerre

Lorsque Zelda* apprend qu’elle a une maladie grave (un cancer) le sol s’effrite à ses pieds. Vertige de la nouvelle, appréhension de ses lendemains, ses surlendemains, anéantissement de ses projets… Sa vision entière de l’avenir perd de sa couleur et de son sens initial. Idem pour le présent qui se remplit subitement d’autres questions, d’autres choses à gérer et qu’il faut apprendre à hiérarchiser :  l’entrée dans le monde des rendez-vous médicaux, des examens, des traitements au long cours et de leurs conséquences sur le physique et le moral, les décisions à prendre…  L’effort de concentration pour tout comprendre de la maladie et de ses conséquences à court et long terme… Autant d’assommoirs qui vont baliser son quotidien pendant un moment.

Les personnes de son entourage, collègues de travail, voisins, voisines, ami•es, famille (proche ou éloignée) ont souvent du mal à se positionner dans une relation qu’elles considèrent comme nouvelle et affolante, à juste titre. Si elles ne se désistent pas (cela arrive), elles tentent maladroitement le plus souvent de « consoler » ou de prodiguer de bons conseils, et s’engouffrent trop souvent dans le mode « injonctions bienveillantes ».

Quelles sont ces injonctions dont Zelda n’a pas besoin ?

Dans le désordre : sois forte ; ne subis pas, bas-toi; tu vas gagner la guerre contre ce satané crabe ; un nouveau combat commence ; c’est toi qui va l’emporter ;  il faut y croire; tu vas réussir à t’en tirer ; tu vas y arriver ; ne te laisse pas aller; garde courage (avoir du courage dans ce genre de situation n’est pas vraiment une option)… Liste non exhaustive. Et pour le genre féminin auquel Zelda appartient indubitablement, c’est la double peine parce que non seulement les femmes doivent vivre la maladie mais en plus, garder une allure décente, voire, rester attirantes, séduisantes, ne serait-ce que par « politesse pour les autres »  (maquillages, crèmes contre la sécheresse de la peau, lingeries, vêtements, perruques dédiés…). Hello Zelda, revient sur terre s’il te plait… rien de neuf à l’horizon t’es une femme, tu fais gaffe à ton apparence quel que soit l’événement que tu vis, pourri ou pas pourri… Compris ? Le pire étant évidemment que cette injonction spécifique au sexe féminin est tellement intériorisée par les femmes elles – même à qui on fait la leçon depuis des millénaires que certaines d’entre elles sont persuadées que cette idée « de se faire belle quand on est malade » est le produit d’un désir personnel.

La sophrologue que je suis et la femme que je suis dans sa nature profonde dit « halte là » ou « stop » ou « on arrête la plaisanterie » (selon mon humeur).

Compte-tenu de la situation extrêmement déstabilisante que vit Zelda, elle a besoin de à peu près tout, sauf d’être confrontée à des diktats et autres mises en demeure de la part d’êtres humains (pour le moment) bien portants.

Ces tentatives maladroites de l’épauler vont puiser dans un vocabulaire guerrier. Elle est vainqueure ou une victime. Cela ne fait que la confronter à la crainte de n’être pas suffisamment forte, de n’être pas suffisamment outillée, de n’être pas suffisamment douée pour gagner, à la peur d’échouer dans ce pseudo combat, parfaitement inéquitable (alors comme ça toutes les personnes qui meurent du cancer, les enfants et les ados compris ne se sont pas assez « battus », elles n’étaient pas suffisamment motivées?) et la plongent dans un désarroi profond. Rappelons nous également que chaque personne traversant une maladie grave, vit dans des circonstances singulières et que tout le monde n’a pas la chance d’être bien entouré•e ou de vivre dans des conditions matérielles décentes.

De quoi a besoin Zelda pour vivre cette maladie de la meilleure façon possible ?

Elle a besoin d’entendre : « vous êtes malade de ce cancer là… » plutôt que « vous avez un cancer ». En effet, elle ne possède pas la maladie, et la maladie ne la possède pas. Il y a collision provisoire. Plus encore, elle « n’est pas le cancer » mais bel et bien une personne qui il y a quelques semaines n’était pas malade et qui ne sera peut-être plus malade dans quelques mois ou quelques années.

Elle a besoin d’entendre les mots justes, les mots vrais. Ceux qu’elle doit entendre pour faire « avec » cette maladie.

Elle a besoin de formuler les mots justes, les mots vrais. Ce qu’elle ressent elle et pas ce que les autres aimeraient qu’elle ressente.

Elle a besoin d’être entourée de personnes qui entendent parfaitement et sans s’en formaliser, la violence de la nouvelle, le vertige, la colère, la peur du lendemain, la peur de n’être pas suffisamment bien accompagnée (d’un point de vue personnel et médical), l’indignation (pourquoi moi), la peur de la non-guérison, la peur de la mort… En bref, des personnes qui l’écoutent vraiment et parlent de la maladie et de ses conséquences avec elle de manière sereine, jusqu’à même parler de la possibilité de la mort et des dispositions à prendre si cela doit se faire ainsi. La mort est notre finalité à toutes et à tous pour autant que nous soyons des êtres humains faits de sang et de chair et parfois, c’est bon de s’en souvenir car cela nous amène à une sorte d’égalité.

Elle a besoin de pouvoir se plaindre, gémir, pleurer, crier même quand cela devient nécessaire, sans qu’on lui demande de se calmer et d’être raisonnable.

Elle a besoin de se sentir belle si elle veut se sentir belle et de se sentir moche si elle veut se sentir moche. Bref qu’on lui foute la paix avec son aspect physique.

Elle a besoin de n’être pas gênée de se balader le crâne nu au minimum dans sa propre maison au maximum dans les espaces extérieurs.

Elle a besoin qu’on ne la regarde pas comme une extra-terrestre.

Elle a besoin d’avoir largement le droit de baisser les bras quand elle le souhaite, baisser les armes qu’on lui met dans les mains d’office, comme si l’obligation de se battre du matin jusqu’au soir était en soi une arme fatale contre le cancer.

Elle a besoin d’être soutenue physiquement (forte solidarité dans le travail quand l’activité professionnelle se poursuit, courses, gestion de la maison, gestion des enfants le cas échéant, sport accompagné, balades, accompagnement aux rendez-vous médicaux) ce qui la soutient largement moralement.

Elle a besoin de continuer de rire, de faire rire, d’aimer et d’être aimée…

Elle a besoin de continuer à espérer et elle a bien raison car il y a tant de probabilités qu’elle guérisse.

Elle a besoin d’intégrer la maladie comme une étape à vivre du mieux que possible en faisant au mieux avec les possibilités qu’elle a. Elle a besoin de faire la paix plutôt que la guerre.

C’est ici qu’elle puise sa force. Lorsque tous ces besoins sont accomplis Zelda prend conscience de ce qui se produit…Et ses lendemains sont plus sereins.

Les séances de sophrologie vont l’aider et aider ses accompagnant•es à ouvrir un espace de liberté et d’autonomie où vivre la maladie en suivant ses besoins et valeurs propres autant que possible.

Pour conclure cet article, je vous recommande chaleureusement un livre bouleversant d’intelligence, écrit par le philosophe Ruwen Ogien, « Mes mille et une nuits » Il y interroge le parcours du malade, les images de la maladie, les métaphores pour le dire, pour l’oublier, pour en faire autre chose que ce qu’elle est. Il dénonce la doctrine du dolorisme qui exalte la valeur morale de la douleur.

* prénom inventé pour l’article

 

Marcella sophrologue Paris 15e 

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Cette publication a un commentaire

  1. Oundjian

    Formidable intelligent et utile bravo Marcella !

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